Les Tourbières
Quelques généralités
Les tourbières sont des zones humides où la matière organique s'accumule sans qu'elle soit totalement dégradée. Ceci est dû à une saturation en eau du sol, créant des conditions d'anoxie empêchant la décomposition par les bactéries. Ce processus d'accumulation est très long et peut prendre des siècles. Dans de très vieilles tourbières (ex : biebrza Pologne) certaines épaisseurs de tourbe atteignent jusqu'à 30 mètres !
Il existe de nombreux types de tourbières en fonction de leur localisation biogéograhique et climatique, mais aussi en fonction de leur alimentation hydrologique et de leur fonctionnement. Chaque type peut ensuite être encore subdivisé en fonction des caractéristiques physico chimiques comme l'acidité, le degré de décomposition, ou la végétation.
Les tourbières sont des zones naturelles extrêmement précieuses, de par leur spécificité d'un point de vue physico-chimique, hydrologiques, ou encore biologique par la biodiversité très riche associée à ces écosystèmes (Joosten & Clarke, 2002). De nombreuses espèces spécialisées ne vivent que dans ces zones particulières.
Elles tendent naturellement à évoluer vers des stades boisés en fonction du contexte environnant. Ainsi, les tourbières ont un rythme d'apparition et d'extinction de l'ordre de milliers d'années. Cependant, dû à l'activité humaine, ce rythme est perturbé et les tourbières ne se régénèrent plus.
La considération de ces milieux est relativement nouvelle et leur fonctionnement est encore mal connu. Il y a donc encore beaucoup de recherche à faire sur ces écosystèmes particuliers et de nombreux projets sont encore au stade d'expérimentation en attente de retour d'expérience.


Les différents types de tourbières
(Source : Manneville et al., 2006)
Services écosystemiques
Parmi de nombreux autres services, il a été identifié que les tourbières proposent les services principaux suivants (Crassous & Karas, 2007).
Services hydrologiques et physiques
- soutien d'étiage
- écrêtement de crues
- recharge des nappes
- réduction de l'érosion
- purification de l'air
- piégeage et rétention de CO2
- régulation du climat local
- source d'eau
Services biologiques et biochimiques
- habitat pour un grand nombre d'espèces
- biodégradation et absorption des polluants
- purification de l'eau
- création de ressources naturelles
- réservoir de biodiversité
Services sociaux et culturels
- culture et paysages
- éducation et sensibilisation
- récréation et loisirs
- chasse et pêche
- recherche scientifique, archéologique
- tourisme
Le piégeage de carbone est un service extrêmement précieux dans le cas des tourbières, car elles constituent le premier stock de carbone actif de tous les écosystèmes terrestres (Joosten & Couwenberg, 2009). Même si elles couvrent moins de 3% du globe, elles stockent plus du double de carbone que toutes les forêts mondiales (Crump, 2017) et ont donc un rôle crucial sur la régulation du climat.
Quelle gestion ?
La gestion d'une tourbière peut être orientée en fonction de différents objectifs (Crassous & Karas, 2007). Il convient de replacer les objectifs dans le contexte particulier de la zone humide, afin d'assurer la pertinence des actions à mener et leur suivi. Le détail technique des actions à mener va dépendre de l'objectif à atteindre à plus ou moins long terme.
Biodiversité
- Fauche des herbacées/ligneux : mécanique, manuelle, par pâturage, par le feu. Certaines méthodes favorisent la reprise naturelle des végétaux via la banque de graine du sol.
- Revégétalisation : repiquage ou réensemencement des espèces.
- Terrassement de maintien : maintien de mares, gouilles, ou de la micro topographie générale, conservation d'une mosaïque d'habitats aquatiques.
Hydrologie
- Identification : action sur les sources de pollution pour préserver la qualité de l'eau,
- Reméandrage : rivières et canaux pour retrouver un fonctionnement naturel, ralentir les écoulements
- Seuils : création de digues et seuils (gérés par vannes) pour rehausser les niveaux d'eau, ralentir les écoulements et sédiments dans la tourbière (en évitant le marnage)
- Neutralisation : suppression des drains par comblement par des matériaux solide ou par inondation des drains,
- Pompage : irrigation de la tourbière (en cas de pénurie d'eau) pour réalimenter certaines parties.
Sols et substrats
- Coupe : des ligneux, réduction de la minéralisation des sols,
- Décapage : désenvasement, curage des canaux et mares, maintien de micro topographie
Dans certains cas, notamment pour l'hydrologie, la gestion s'efforce de ramener un fonctionnement le plus proche possible du fonctionnement naturel.
Menaces et dégradation
Les tourbières sont des écosystèmes fragiles et menacés. Les altérations sont nombreuses, et les dégradations généralement irréversibles de par leur long processus de formation.
L'expansion urbaine et agricole est un facteur majeur de réduction des tourbières en Europe et dans le monde. Ce sont des zones marécageuses a faible valeur agronomique, qu'il est nécessaire de drainer afin de pouvoir réellement utiliser les sols. Il est estimé que 15% des tourbières mondiales auraient déjà disparues à cause du drainage.
La réduction totale ou partielle des niveaux d'eau entraine des changements structurels profonds. Premièrement, la matière se décompose grâce à l'oxygène désormais présent, puis les sols se minéralisent. La végétation et la disponibilité en eau sont ensuite réduits et uniformisés pour ne présenter qu'une faible diversité, accentué par un tassement progressif des sols qui mène à leur stérilisation.
De même, les pompages en eau pour l'agriculture ont des effets similaires et comparable au drainage, même si leur impact n'est pas aussi destructeur grâce au maintien d'une partie de l'hydrologie. Mais généralement, les pompages réduisent les niveaux des nappes phréatiques et assèchent les couches supérieures de tourbe menant aussi à leur minéralisation et dégradation.
D'un point de vue chimique, les rejets agricoles sont extrêmement communs et affectent l'état et la qualité des tourbières. Comme beaucoup d'autres milieux aquatiques, les apports en nutriments de l'agriculture stimule la production végétale et induit une surproduction de matière créant un milieu eutrophe et plus riche en végétation que ce qu'il ne devrait. De ce fait, les ligneux et autres herbacés de grande taille peuvent créer un envahissement général de la tourbière réduisant ainsi le bon fonctionnement de la zone humide.
Enfin, les activités humaines à l'intérieur de la tourbière ont aussi un impact important sur le milieu. La commercialisation de la tourbe, les décharges et autre activités humaines détruisent directement les milieux pour leur exploitation. Ceci inclus aussi les activités récréationnelles comme la création de plan d'eau notamment pour la chasse et la pêche.
Rappelons que les changements hydro-morphologiques se passant à l'échelle d'une tourbière induisent des modifications à une échelle bien plus grande (bassin versant, mésoclimat, macroclimat, ...), dans lequel vivent nos sociétés.

